Adieu Gloria
de Megan Abbott
Editions du Masque
Sortie le 23 février 2011
Grand format /230 pages / 19,50 €
Présentation de l'éditeur
Je veux ces jambes. Ainsi commence le récit d'une jeune Américaine lasse de son job de comptable et de la médiocrité de sa vie quotidienne. Repérée par Gloria Denton, célèbre pour sa plastique et le sang-froid avec lequel elle contrôle différentes entreprises criminelles – cercles de jeu et champs de course – pour le compte de caïds du Milieu, elle devient son assistante. Gloria drive sa « pouliche » qui, prenant goût aux grands restaurants, aux fourrures et aux bijoux, passe bientôt pour sa digne héritière. Jusqu'au jour où la petite s'entiche d'un séduisant bon à rien, joueur flambeur et cynique qui la convainc de trahir sa bienfaitrice.
Il ne peut y avoir qu'une gagnante dans le combat que se livre alors les deux femmes...
Megan Abbott a réussi, en jouant de tous les registres du roman noir, à créer une ambiance sulfureuse, rythmée par les pièges et les trahisons, tendue par une violence perverse et feutrée. Faisant de Adieu Gloria un drame vénéneux, trouble et sexy.
Avis d'Asmodée
Roman noir par excellence, Adieu Gloria prend pour décor l'Amérique des années cinquante, époque où l'argent, mais aussi la corruption, l'influence mafieuse et les magouilles prévalent. L'histoire est racontée par une jeune femme âgée de vingt deux ans. Cette dernière, une comptable encore en formation, maquille les combines de ses deux employeurs qui organisent des loteries clandestines dans un bar. Ces conditions frauduleuses vont amener la narratrice à faire connaissance avec Gloria Denton. Cette femme influente dans le milieu de la pègre, qui connaît tout le monde, remarque l'étudiante et décide de la prendre sous son aile pour en faire sa "pouliche".
Qui est vraiment Gloria ? À quelles extrémités serait-elle prête pour sauver sa peau si nécessaire ? Telles sont les questions qui reviennent sans cesse au fur et à mesure que le récit précipite la jeune comptable et son mentor vers une inéluctable confrontation. La narratrice nous la décrit comme une personne froide et calculatrice, parfaitement maître de ses émotions. Cependant, lors de certains passages clés, la Dame trahit un tempérament plus nuancé, fort de sentiments inattendus venant de sa part : des pulsions meurtrières, de la peur… Et même une affection insoupçonnée derrière le masque rigide qu'elle s'est confectionné au fil des années pour survivre et s'imposer dans le milieu. Gloria est auréolée d'inquiétantes rumeurs courant sur son compte. Elle fait partie des légendes.
La narratrice, fille d'un vendeur de distributeurs automatiques, est issue d'une famille modeste. Gloria va lui faire découvrir la grande vie. Celle des hippodromes, des casinos et restaurants cossus dans lesquels elles évoluent pour mener à bien leur travail. Une activité consistant aussi bien à convoyer les recettes des paris qu'à transporter des marchandises de recel, à verser des pots-de-vin ou encore à communiquer des informations pour le compte des Grands Patrons.
La jeune comptable a été élevée par un père honnête, mais sans avenir. Ses ambitions vont lui faire embrasser pleinement les perspectives offertes par Gloria. La protégée de la Dame, respectée et crainte par tous, va rapidement apprendre les ficelles du métier. Peut-être même trop bien. Admiratrice de sa patronne et toujours plus avide, la narratrice s'approprie les rudiments du savoir vivre et de la mode vestimentaire chic afin de se fondre dans un univers ne pardonnant aucune erreur. Gloria est une instructrice consciencieuse, doublée d'une femme mystérieuse à l'incomparable charisme. Indépendante dans l'âme, elle s'affranchit du bon vouloir des hommes et tente de préparer au mieux "sa fille" pour lui éviter de commettre les mêmes incidents de parcours qu'elle eut à subir plus jeune.
Seulement voilà, l'héroïne inexpérimentée va s'éprendre de Vic Riordan, un magouilleur sans envergure. Un beau parleur peu recommandable. Ce combinard criblé de dettes, sous prétexte de l'amour, va exhorter la disciple naïve à escroquer celle qui lui a tout appris. De cette passion, émergeront des désirs ambigus. L'ex-comptable accepte, et recherche, la rudesse de son amant. Mais les traces de coups ne passeront pas inaperçus aux yeux de Gloria.
Adieu Gloria est une histoire de femmes fortes qui nagent dans une eau trouble infestée de requins. Solidaires dans un premier temps, unies par des liens semblables à ceux d'une mère et sa fille, l'irruption de Vic va semer la discorde. Mais la faute du contentieux ne lui impute pas entièrement, car l'héroïne n'est pas aussi innocente qu'elle veut bien le laisser croire. Elle est prête, si nécessaire, aux plus basses manœuvres pour se montrer digne de la puissante Gloria, si classieuse et enviable. Pour la supplanter également, parce que c'est de cela aussi qu'il est question. La jeunesse veut succéder à son aînée, devenir son héritière.
Megan Abbott signe un récit captivant. Jonglant à merveille avec les codes du roman noir, l'auteure impose une ambiance au relent de fourrures, de bijoux et de méthodes crapuleuses. Avec une plume sans fioriture qui n'en reste pas moins stylée, elle développe une intrigue à la tension qui grimpe crescendo, jalonnée de rebondissements. Et ce rythme tient en haleine jusqu'à la dernière page. Un programme fait de suspens et de meurtre. Cependant, la séduction et les sentiments ne sont pas en reste, loin s'en faut. Le parcours de cette jeune comptable opportuniste est remarquablement ficelé, avec tout ce qu'il faut de romance impossible et de frissons pour maintenir en éveil permanent l'attention du lecteur qui veut découvrir le dénouement.
Surtout, le personnage de Gloria Denton, pourvu de multiples facettes, fait honneur à la figure féminine dans le genre du roman noir. Charismatique, insaisissable… humaine finalement. Une lecture du meilleur cru qui est vivement recommandée, particulièrement à ceux qui ont une prédilection pour les atmosphères mafieuses de l'Amérique des fifties.
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